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Tempus fugit

Je ne sais pas si c'est une manie. Ou une bizarrerie de mon esprit (du même genre que celle qui me fait parfois compter les lignes discontinues sur une portion de route, ou les oiseaux qui passent dans le ciel), mais j'ai toujours le même réflexe quand je me penche sur un livre paru : je calcule l'âge de l'écrivain.


En réalité, le Nakatomi Plaza du film s'appelle le Fox Plaza.

Dans l'excellent film "Piège de cristal", le charismatique et génial méchant, joué par Alan Rickman, a cette réplique célèbre, en regardant une maquette d'architecte : "Le grand Alexandre, en contemplant son empire, pleura, car il ne lui restait plus de monde à conquérir... L'avantage d'avoir reçu une éducation classique." Ce passage me ramène chaque fois, par association, à la légende d'un Jules César pleurant à son tour, dit-on, sur la statue d'Alexandre, car au même âge il se désolait de n'avoir rien accompli.

L'histoire est remplie d'hommes qui pleurent. Et se mesurent.


Ma petite préoccupation secrète et personnelle, moi, c'est de calculer mentalement l'âge d'un auteur quand il publie quelque chose.


Je le fais tout le temps.

Je cherche aussi à savoir à quel âge les écrivains ont commencé : Stephen King avait 26 ans quand le manuscrit de Carrie a été accepté par un éditeur et qu'il a quitté sa carrière d'enseignant, J.K. Rowling en avait 31 pour Harry Potter (et quitta l'enseignement aussi), Frank Herbert (né à Tacoma, clin d'oeil à ceux qui auraient lu mon roman Déliée) avait un peu plus de 40 ans quand Dune fut accepté (et il avait écrit surtout des nouvelles auparavant), etc.


Hier encore, en parcourant une revue littéraire, j'ai calculé l'âge de première publication de chaque écrivain évoqué : Jean Teulé avait 38 ans, David Foenkinos 28 ans, Delphine de Vigan 35 ans, Michael Connelly 36, Laurent Gaudé 27.

J'ai découvert que des sites recensent sous forme de tableaux statistiques l'âge des écrivains lors de la publication de leur premier ouvrage (ils sont probablement rédigés par des personnes qui partagent le même trouble que moi).


Pourquoi me focaliser sur ce détail ? Parce que si une quelconque loi régit la destinée des écrivains, et les fait se révéler au grand jour, elle doit bien pouvoir se lire quelque part. Dans les chiffres par exemple. Je cherche donc leur trace. J'y cherche le signe que ma propre évolution n'a rien d'incohérent, ni d'erroné ; j'y cherche la preuve que je peux encore y arriver, moi aussi. Qu'il n'est pas trop tard.

J'ai largement dépassé l'âge de première publication de tous les écrivains cités dans ce petit article, pourtant. Mais des tas d'autres ne se sont révélés que bien après. Et puis je trouverai bien quelque chose à accuser : une première vie professionnelle accaparante, une trop lente maturation, ou même une posture affectée - "Mais enfin, j'ai toujours écrit, depuis l'adolescence !"


Evidemment, l'important n'est pas l'âge. C'est ce qu'on décide de faire de notre existence. Mais quand même, on est un homme, on n'y peut rien : on se compare. On se mesure. Et on tente de se rassurer comme on peut ; après tout, le destin prend son temps lui aussi, et il reste toujours de l'espoir.

Alan Rickman n'avait jamais eu aucun rôle avant la presque trentaine.

Yipikaï.


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