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Photo du rédacteurGuillaume

A.I.

Je n’ai jamais oublié le choc visuel et conceptuel que fut pour moi l’anime tiré du manga Ghost in the Shell, et le personnage du Major Kusanagi en cyborg posant la question de sa propre humanité. Il y a une petite chance pour que, au cœur de mon adolescence, j’y ai été attiré par l’érotisme sous-jacent que suggérait la jaquette. Mais j’en garde aujourd’hui le souvenir de questionnements que je ne m’étais jamais posés, et qui m’accompagnent encore, à mesure que la technologie se développe. Quelle est la limite de l’intelligence ? En quoi un programme ou un robot pensant serait-il si différent de nos esprits ?



Lorsque j’avais 15 ans, au milieu des années 90, avant qu’internet ne remplisse le monde, toutes ces projections relevaient encore de la science-fiction. Désormais je les expérimente quotidiennement, et je ressens toujours ce même mélange, à la fois merveilleux et perturbant, devant les intelligences artificielles des algorithmes de Google ou de Youtube : je commence chaque journée en écoutant de la musique, et j’aime qu’elle soit différente, me surprenne ; je laisse les logiciels naviguer pour moi. Par exemple ce matin, Youtube me propose (toujours en se basant sur des années de visionnages de vidéos) un extrait musical : Paul Simon chantant en duo avec Stevie Wonder «Me and Julio down by the schoolyard » (le lecteur se fera une idée de mon univers).

J’ai écouté cette version pendant mon petit-déjeuner (le lecteur imaginera seul de quoi il se compose, je veux garder une petite part de mystère), en me disant que Stevie est vraiment un génie musical, et à la fin de la chanson, l’algorithme enchaîne seul, puisant dans les propositions d’autres vidéos qu’il a associées j’ignore comment (par année ? par fréquence de visionnage ? par style musical ?), et fait entendre (après une brève publicité m’incitant à vite acheter un ordinateur portable) « Here comes the sun », chantée par Paul Simon en live, accompagné de David Crosby et Graham Nash.

La chanson est superbe, les harmoniques parfaites.

Je me rapproche de mon écran à cet instant. Je les regarde tous les trois, je les écoute, la vidéo a au moins 10 ans, et je me mets à penser que c’est un contraste incroyable : ils sont vieux, bedonnants, cheveux blancs ou plus de cheveux du tout, au crépuscule de leur carrière et de leur vie, et pourtant si je ferme les yeux je ne retrouve qu’un son merveilleux. C’est beau, ça l’est sans doute aussi parce que ces trois hommes traînent tous derrière eux comme une aura due à un demi-siècle d’histoire de la musique : ce qu’ils ont vécu, créé, interprété, transmis, c’est comme si ça les suivait, en tout cas cela rajoute une dimension indescriptible à l’ensemble. Du moins pour moi, qui ai eu le temps de les écouter depuis l’enfance sur les disques qu’avaient écoutés mes parents avant moi. C’est émouvant d’entendre Paul Simon dire, au début de la vidéo, qu’il va interpréter une chanson écrite par un ami à lui.

Après cette vidéo, Youtube poursuit sur une autre proposition : Paul McCartney et Eric Clapton chantant « Something » en live. Et c’est formidable à nouveau. Je me souviens qu’Harrison est un génie aussi.

Je n’essaie même pas de résister à cet enchaînement qui m’est proposé, de reprendre un semblant de détermination humaine en allant cliquer moi-même sur une chanson que je me sentirais rassuré d’avoir choisi. Au contraire, je vogue, j’accepte ce hasard dont j’ignore s’il est réel ou feint, je me dis que c’est agréable de découvrir des choses. Même en lisant les commentaires que d’autres internautes ont laissé sous les vidéos. Je ne peux pas m’empêcher d’aller toujours un peu regarder, même si c’est souvent assez déconcertant.

Je ne comprends pas quel intérêt il peut y avoir à laisser une trace écrite comme : « ma chanson préférée, tu le sais, je t’aime Patricia », ou « ça restera le meilleur artiste de tous les temps, repose en paix man ».

Heureusement parfois il y a des infos pertinentes qui m’éclairent : j’ai par exemple appris ce matin que sur la chanson « Something », le ukulélé avec lequel McCartney commence à chanter est un modèle Gibson qui lui aurait été offert par George, qui en possédait une vaste collection ; que la chanson elle-même était considérée par Lennon comme la meilleure de l’album, par Sinatra comme la plus belle chanson d’amour des 50 dernières années ; qu’elle fut écrite pour une femme piquée par Clapton à George… Toutes ces informations n’ont pas une valeur essentielle, mais elles m’enrichissent, et sont très révélatrices. Quand j’écris, j’essaie de prêter une grande attention à ces détails qui porteront le récit et les personnages, tout autant que les grandes clés du récit.





Mais que penser, à la fin, de ces algorithmes qui en savent tant, et parviennent à me surprendre ? Devrais-je m’en méfier, ou apprécier ce qu’ils m’apportent ? Ont-ils une forme de conscience, est-elle fourbe ou généreuse ? Je ne sais pas comment traiter cet écho de mes propres désirs, cette anticipation de mes besoins, cette créature numérique que j’ai nourrie moi-même. J’espère l’avoir bien traitée, et que si le jour vient où elle doive nous dépasser tous en intelligence, elle sera bienveillante. J’essaie de ne rien avoir vraiment à l’esprit, sinon ce plaisir de l’émotion. Ça, on ne me l’enlèvera pas, on ne peut le réduire, et aucun programme ne saurait l’anticiper.

And in the end, the love you take is equal to the love you make.

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