Ou comment tenir en respect l'idée du vide et la peur qui le suit de près.
Je n'ai jamais vraiment craint de ne plus "avoir d'idées", tant que je ne pensais pas faire de l'écriture un métier. Mais la question devient plus délicate lorsque l'on DOIT écrire (il y aurait beaucoup à dire sur cette idée d'obligation, d'ailleurs, mais ce n'est pas l'objet de cet article). L'activité d'écrivain n'est pas un calcul, ni un plan, c'est bien trop incertain et aléatoire ; alors il peut arriver de se sentir jeté dans le vide, avec les mêmes questions tournant en boucle : "Et si je n'avais aucune inspiration ? Et si je ne parvenais pas à produire quoi que ce soit ? Ou pire, que tout soit nul ?"
Il va falloir que je détruise une idée fausse (je passerai le balai après, promis) : non, un écrivain n'attend pas le nez en l'air que les idées veuillent bien lui arriver. C'est un boulot, alors il faut le faire. Écrivez, écrivez, même si vous pensez que c'est mauvais, mais faites-le. Faites vos gammes.
Cela dit, on n'écrit pas à partir de rien non plus. Les idées viennent de quelque part, et en ce qui me concerne c'est un alliage constant de deux horizons : celui que j'ai absorbé malgré moi depuis toujours (et que nous absorbons tous), et celui qui varie au gré du quotidien. Le premier est une mémoire sans fin (où s'agitent mes souvenirs, mon vécu, les parfums et les couleurs, les livres lus, films vus, les moments de jeux, d'ennui, toutes les sensation et les cicatrices, les pensées qui ont pu me traverser pour n'importe quoi), quand le second est davantage une réaction au quotidien.
Ces deux façons de "voir" se mêlent l'une à l'autre. Tout peut s'avérer propice à une idée d'écriture. Stephen KING parle souvent de l'exemple du tricycle renversé dans une cour : cette seule image peut devenir ce que l'écrivain voudra. Ca, c'est son boulot. Ne pas avoir d'idées me semble aussi saugrenu qu'un peintre qui dirait qu'il n'a pas de couleurs.
J'ai par exemple un souvenir très net du cabinet médical où l'on m'emmenait enfant : je pourrais le dessiner (si je savais dessiner), ou le décrire mentalement sans difficultés. Le bruit particulier des lattes de bois au sol, le silence poli des gens sur les fauteuils en osier, la décoration, les jouets, la couleur des rideaux, le son de la cloche de l'église proche quand elle sonnait, celui de la sonnerie de la porte du cabinet, courte et stridente, qui faisait sursauter quand on s'était laissé aller à s'assoupir du fait de l'ambiance ou de la fièvre, l'odeur de ce lieu, les affiches au mur. Je ne pense pas être avoir été malade plus de deux fois chaque année sur l'ensemble de mon enfance, mais cet endroit est en moi, et si j'en ai besoin un jour pour écrire je pourrai m'en resservir. Ou bien isoler seulement un des éléments cités.
Au quotidien, je m'intéresse à tout ce qui se présente à ma pensée : j'écoute les informations, je lis les nouvelles du monde, je vais sur internet sans but, j'observe les gens dans la rue, les magasins. A partir de chaque élément, de chaque personne, on peut se laisser aller à imaginer ce que l'on veut.
Pour tout ce qu'il m'est impossible de croiser dans la réalité, je nourris mon imaginaire avec plaisir : de super-héros, de monstres, de magie, de références aux jeux-vidéo, aux mythes. J'adore la science-fiction, le fantastique, les films avec des ninjas ou des robots-géants (un jour on proposera sans doute un robot-ninja géant), je lis des mangas, je regarde leurs versions animées, je passe un temps fou sur Youtube, je dévore les comics et les BD centrées sur des univers éloignés du nôtre. Même si c'est absurde, mal fait, décalé, clairement bâclé, on peut toujours en retirer quelque chose (ne serait-ce que des rires).
Rêver me semble indispensable.
Je m'intéresse beaucoup aux mécaniques du jeu de rôle, qui constitue un condensé de l'écriture de scénario. En voiture (j'y passe à peu près une heure par jour), j'écoute des livres audio ou des émissions que je télécharge. Il existe des plate-formes sur internet permettant de suivre des créateurs dans tous les domaines.
"Ce ne sont pas leurs affaires que vous ayez à travailler pour savoir écrire. Laissez-les croire que vous êtes né comme ça." Ernest HEMINGWAY
Lisez, avant tout. Tous les jours.
Il n'y a qu'ainsi que vous intègrerez les mécanismes qui structurent un récit, les détails de style.
J'ai plusieurs livres "fétiches" rangés près de mon bureau, à portée de main, et s'il m'arrive de ne plus savoir comment faire, comment écrire, je les ouvre, je lis. Cela me délivre, chaque fois.
Ayez un carnet sur vous pour prendre des notes, si cela vous aide.
Quoi que vous fassiez pour entretenir votre propre imaginaire, l'essentiel me semble être cette capacité de regard, quand vous êtes face au monde. La manière dont vous prenez les choses, ce que vous imaginez dans votre esprit et qui fait scintiller votre œil ou dessine un sourire au coin de votre bouche, c'est déjà de l'écriture.
Continuez à ouvrir les portes automatiques des magasins en utilisant la Force. Et savourez le plaisir d'imaginer tout ce que vous voulez.
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