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La loi des gouttes d'eau

Embrasser est une pulsion, pas un choix (je veux dire en cela que ce besoin s'empare de nous et nous dépasse), et il en va ainsi qu'il s'agisse de la bouche d'un autre être humain comme du choix d'une carrière. Pourtant aujourd'hui, être écrivain demeure un statut complexe, aussi bien financièrement, au quotidien, que plus intimement, dans la représentation que peut en avoir le monde. Vouloir être écrivain, un vrai métier ? Ou un saut dans le vide ?


Pour ne parler que de la situation française, deux tiers des auteurs doivent exercer un autre métier, par nécessité, parce qu'ils ne vivent pas de leur plume. Neuf auteurs sur dix perçoivent des droits d'auteur inférieurs au Smic, et si on les interroge, ils déclarent pour près de la moitié que leur situation matérielle s'est détériorée au cours des dernières années. Il existe beaucoup de croyances fausses sur la réalité économique de cette activité : des tas de gens imaginent encore que les écrivains toucheraient des acomptes confortables leur permettant de passer leurs journées en robe de chambre tout en tapotant sur leur machine à écrire : en réalité pour les rares chanceux à percevoir un à-valoir (37% des auteurs), celui-ci est majoritairement compris entre 1500 et 3000 euros, quand s'étalent devant eux huit mois de travail, parfois plus d'un an, avant que le roman ne soit achevé.


Ce que touche un auteur est un pourcentage sur le prix des livres vendus. Ce taux de rémunération est de 7% en moyenne en France. Ce qui veut dire que pour un roman vendu par exemple vingt euros, l'auteur recevra 1,40 euro.

Je vous laisse une petite seconde pour sauter de joie devant votre écran.

On commence à parler de best-seller dans le monde de l'édition lorsque les ventes atteignent quelques milliers de vente (disons entre 3000 et 6000 exemplaires). Et croyez-moi, ce n'est pas si fréquent (en moyenne, un premier roman s'écoule à 600 exemplaires). Même si vous avez la chance de vivre un véritable succès d'édition, vous recevrez entre 4000 et 8000 euros. Ce qui correspond à votre rémunération de plusieurs mois d'efforts créatifs, et doit vous permettre de vivre pendant une bonne année.

Je vous laisse une petite seconde pour retomber sur votre chaise.


Alors pourquoi écrire, et se lancer dans un voyage si incertain ? Qu'est-ce qui peut bien pousser un être doué de raison, et de sens mathématique (même s'il a une formation littéraire), à se consacrer à ça ?

Et bien précisément, parce que ça ne se contrôle pas.

Pas plus que l'envie folle d'embrasser.


Je n'écris pas par plaisir de suivre un chemin qui est difficile, tortueux, brumeux et très souvent solitaire. J'écris parce que je ne sais pas faire autrement. Il le faut. C'est ce que ne cesse de me souffler la voix au-dedans, et toutes celles de l'univers au-dehors. Je ferai tout pour ça, et il faudra que ça fonctionne, parce que je n'ai pas le choix. J'y mettrai toute mon envie, et mon énergie entière. Écrire me semble souvent un travail méticuleux, où il faut assembler un mot avec un autre, une pierre, une goutte, jusqu'à former un petit océan.


Dans l'excellent film "Bienvenue à Gattaca", d'A. Nicoll, le personnage de Vincent, que joue Ethan Hawke, souffre depuis l'enfance de problèmes cardiaques, qui le font se sentir systématiquement inférieur à son petit frère Anton, un être génétiquement idéal, lequel le bat dans chaque défi lancé.

Sauf un jour.

Une seule fois.

A l'occasion d'un défi de natation, à qui nagera le plus loin de la côte, Vincent nage plus loin que son frère, qui abandonne.

__ Comment as-tu fait ?, lui demande Anton.

__ Je n'ai jamais économisé mes forces pour le retour.


En s'investissant totalement dans ce qui nous traverse et nous nourrit, je suis sûr qu'on doit pouvoir se dépasser, réaliser de petits miracles, même s'ils ne semblent pas plus gros qu'une goutte d'eau. C'est un saut dans le vide, à bien des égards.

Mais il nous remplit.

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