Ce n'est pas une nouveauté de cette rentrée littéraire d'hiver (l'article original fut publié au milieu des années 1960), mais ce recueil de 15 textes est une petite merveille : si vous ne connaissez pas encore Gay Talese, il faut vous précipiter sur l'un de ses ouvrages (celui-ci aura le réjouissant avantage de vous proposer une quinzaine d'univers différents).
Né en 1932 (et toujours en vie, car les grands écrivains vivants, ça existe), Gay Talese est considéré aux Etats-Unis comme l'un des créateurs du "Nouveau Journalisme" (même si lui-même ne l'a jamais revendiqué), sorte de reportage mêlant l'exigence journalistique aux techniques de la fiction. De petits bijoux littéraires, qui vous feront regretter que la lecture d'un journal ne ressemble pas (ou plus) à ce qu'elle a pu être à cette époque : un plaisir. Talese raconte les personnes et les événements avec une richesse étourdissante. On sent dans ses portraits toute la connaissance intime qu'il a dû tisser, fruit de recherches minutieuses, d'enquêtes de terrain, et d'une longue réflexion.
"Sinatra avec un rhume, c'est Picasso sans peinture, Ferrari sans carburant - en pire."
Durant l'hiver 1965, Talese fut envoyé à Los Angeles par le magazine Esquire pour interviewer Frank Sinatra. Mais celui-ci, enrhumé, annula l'entretien. Plutôt que de rentrer bredouille, le journaliste passa plus d'une semaine à interroger chaque personne de l'entourage de la star, assista à des sessions d'enregistrement, récolta des centaines de détails sur Sinatra, sa vie privée, ses sautes d'humeur, ses habitudes - sans jamais parler avec lui.
Paradoxalement, c'est ce qui fait la richesse de ce texte, qui ouvre le recueil.
L'esprit d'une époque
On retrouve, dans cette nouvelle édition (comprenant un texte inédit) une Amérique mythique et révolue, fascinante, crépusculaire parfois : Talese évoque New-York (comme jamais on n'avait fait un portrait de ville), Hemingway, Mohamed Ali face à Fidel Castro, Floyd Patterson et Joe Louis, sa passion pour les cigares et l'ambiance hallucinée de la rédaction de Vogue.
Mon texte préféré fut sans conteste "L'acte de bravoure des tailleurs de Maida", véritable hommage aux racines familiales et siciliennes de l'auteur, et clin d'œil à l'univers de la mafia (une organisation à laquelle il consacra un long ouvrage intitulé "Ton père honoreras"). Cet article précis est un modèle du genre, une nouvelle qui peut rivaliser avec les meilleures. Et la preuve, s'il en était besoin, que Talese est bien plus qu'un journaliste : un écrivain.
Vrai de vrai.
"Sinatra a un rhume", de Gay Talese (nouvelle édition), Editions du sous-sol, 22 €.
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